Plusieurs semaines ont passé depuis le début des convois vers Valor. Taurrandir n'a pu participer au premier convoi, mais celui-ci s'est apparemment déroulé sans trop d'accroc, le rôdeur ayant fait un brin de ménage dans les bois avant le passage de Jenan et de son escorte.
Depuis, Taurrandir a emmenagé dans la cabane de Fiona, libérant une pièce pour Aldaron, un rôdeur chargé de la surveillance des bois autour d'Aelor, comme lui.
Pour le moment, le demi-elfe est seul, dans sa chambre. Il médite et repense aux raisons qui l'ont mené ici. Et à la tâche qui est la sienne: détruire Avazarl. Cette demi-liche qui le poursuit depuis les Îles pirates. Cela fait longtemps qu'il n'en a pas entendu parler, trop longtemps. Que prépare le maître-blême ?
- Fenmarel, éclaire-moi. Indique-moi où est mon ennemi.
Comme une réponse à sa prière, une image surgit dans l'esprit du rôdeur. Celle d'un village, au nord-ouest. Une ferme, plus exactement... Taurrandir la reconnaît: c'est celle d'Ector, un fermier du petit village de Kryonn. Le rôdeur y va de temps en temps: il élimine les nuisibles du champ d'Ector, en échange de quoi celui-ci lui laisse prendre un peu de coton et diverses plantes, qui permettent au rôdeur de confectionner des trousses de soin. Mais pourquoi a-t-il eu cette vision ?
Décidé à en avoir le coeur net, le rôdeur se lève et revêt son armure. Une fois son épée ceinte et son arc en main, il sort. Il rabat son capuchon pour se protéger de la pluie qui tombe, et s'enfonce dans les bois en direction de Kryonn.
Arrivé à la ferme d'Ector, située en-dehors de l'enceinte de Kryonn, Taurrandir ne peut s'empêcher d'être inquiet. Il fait jour, et pourtant Ector n'est pas là, lui qui passe toute la journée dehors. Taurrandir rentre dans la maison du fermier: elle est vide également. Intrigué, le rôdeur se dirige vers le champ; en-dehors des nuisibles habituels, il n'y a pas âm qui vive. Taurrandir extermine les blaireaux et autres chauves-souris présents, par acquis de conscience, puis prend quelques balles de cotons, de l'ail et de l'aloé. Son instinct lui souffle qu'il aura besoin de trousses de soin.
De plus en plus inquiet pour le paysan, Taurrandir se dirige vers Kryonn, espérant y trouver ector en train de vendre les produits de sa ferme aux marchands du coin. Quand il arrive à Kryonn, le village est désert. Les gardes sont bien là, mais ils ressemblent davantage à des statues qu'à des êtres vivants. Sachant d'expérience que c'est l'un des lieux les plus animé du village, Taurrandir se dirige vers l'atelier. Là non plus, il n'y a personne. Avant de ressoritr, le rôdeur prépare des trousses de soin. Juste au cas où...
Lorsqu'il ressort, Taurrandir fronce les sourcils. Quelque chose ne va pas: il n'y a plus un bruit, excepté celui du vent. Les gardes sont toujours de marbre, les oiseaux se sont tus, on n'entend même pas une mouche voler ou une abeille bourdonner... Taurrandir regarde autour de lui: même l'hélice du moulin est arrêtée. Taurrandir redoute le pire. il n'y a qu'une seule raison qui puisse faire taire tous les animaux en même temps...
Soudain, l'air charrie une odeur de pourriture... non, de cadavre ! Une rire éraillé résonne dans la tête du rôdeur.
- Alors, demi-elfe ! fait la voix désincarnée en crachant ces mots, comme on se retrouve. Je ne t'ai pas manqué, j'espère ?
- Aaah ! Avazarl ! Où te caches-tu, monstre ?
- Oh ! tu as encore la force de parler, et de me défier ? répond la voix, intriguée. Surprenant, surtout après notre dernière rencontre... Mais laissons cela. Tu seras bientôt... Mais non, n'anticipons pas. Tu veux savoir où je me cache ? Je suis au-dessus de toi, chère proie, conclut le maître-blême d'un ton sec.
Dans un effort de volonté surhumain, Taurrandir lève la tête. Ce qu'il voit l'horrifie tant qu'il ne peut articuler un son, et son cerveau devient comme paralysé. Avazarl chevauche l'une des pires créatures qui soit. La dernière chose qu'il entend est le rire du maître-blême retentissant dans son crâne.
- Hahahahaha ! "Bones" sera content ! La catatonie dans laquelle tu es plongé fait de toi une splendide statue... Je m'occuperai juste de te rendre ton... lustre originel.
Sur un ordre du nécromancien, la créature saisit le rôdeur puis s'envola vers le sud-ouest...
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Au fond d'une grotte...
Ils étaient au fond d'une grotte. Taurrandir se souvenait qu'ils y étaient rentrés. L'air frais lui fouettant le visage durant le vol lui avait fait reprendre ses esprits. Il ne savait pas au juste où ils étaient, mais il était sûr que c'était dans une grotte.
Quoique... Drôle de grotte, en l'occurence. Une salle immense, d'environ quarante-cinq pieds de haut, creusée à même le roc. Elle était meublée ça et là par une bibliothèque ou un bureau. Mais surtout, ce qui frappait la vue de Taurrandir, c'était les établis d'alchimiste et les tables d'études. Pas moins de cinq établis et de huit tables d'étude. Tout cela à la disposition d'un seul mage. Taurrandir pensa soudain à Athanor, son loup...
Une lueur sur sa droite détourna son attention. Le sorcier avait allumé un candélabre de plus. Bizarrement, de la lumière était produite sans qu'aucune flamme fut visible. Cela intrigua le rôdeur. Taurrandir n'eut pas le temps de pousser plus avant ses réflexions; déjà le sorcier s'approchait de lui en ricanant.
Taurrandir vit son épée longue, Mithang, posée sur une table à côté de lui. Il voulut s'en saisir, mais il ne put bouger. C'est alors qu'il se rendit compte qu'il était enchâssé dans un rocher. Seules ses mains et sa tête en dépassaient.
- Alors, jeune demi-elfe, fit le nécromancien avec une pointe d'ironie dans la voix, on a bien dormi ? Quel dommage que vous n'étiez pas avec ce cher Miltiades, j'aurais bien aimé faire d'une pierre deux coups. Mais qu'importe... ceci n'est qu'unue simple affaire de temps. Et, j'ai tout mon temps, ajouta-t-il dans un murmure.
Tout en parlant, le sorcier allait et venait entre la table où reposait Mithang et une armoire située à gauche de Taurrandir. Malgré lui, le rôdeur s'étonnait de la quantité d'objets et de meubles que son ennemi avait pu se procurer. Celui-ci aperçut le regard surpris du rôdeur.
- Vous vous demandez d'où je sors tout ça, non ?
Taurrandir acquiesça.
- Je m'en doutais. Votre pauvre cervelle ne connait rien aux rudiments les plus élémentaires de la magie planaire. Pouah ! Que vous a donc appris votre mère ?
Taurrandir eut l'impression qu'on lui assénait un violent coup de poing dans le sternum.
- Oui, votre mère. Je sais qui vous êtes, demi-elfe... Je ne pense pas que votre père, ce marchand sembien hostile à la magie, ait pu vous enseigner quoi que ce soit à ce sujet. Mais votre mère était une bonne magicienne, je crois, comme toutes les femmes de votre lignée. Elle aurait pu...
Le sorcier s'interrompit soudain, un éclaire de malice passant dans les yeux et rictus édenté déformant son visage.
- Non, suis-je bête ! s'exclama-t-il. Votre mère n'aurait rien pu vous enseigner: elle est morte quand vous aviez à peine deux ans, votre jumelle et vous ! Hahahaha !
Taurrandir tressaillit, ce qui n'échappa pas à son geôlier.
- Oui, votre jumelle ! Vous savez, je suis très bien informé sur vous, demi-elfe ! ricana le sorcier en s'approchant. Très très bien informé, même, murmura-t-il alors que son visage était à moins de trois pouces du visage de Taurrandir.
L'haleine pourrie du maître-blême souleva le coeur du rôdeur.
- Et vous voulez savoir le plus drôle dans toute cette histoire ? Ces renseignements, c'est vous qui me les avez fourni ! Hahahaha ! (Avazarl partit d'un rire dément:) Oui, continua-t-il, souvenez-vous... Ah ! non c'est vrai, je vous avais effacé la mémoire. Bien, je vais reprendre du début.
Avazarl s'assit sur un large fauteuil rembourré par un épais coussin, et commença par se servir un verre de vin. Malgré lui, Taurrandir sourit de l'incongruité de la situation.
- Comment se fait-il qu'un mort ait besoin de boire ? demanda-t-il au nécromancien.
- Deux mises au point, pour commencer: je pose les questions, et je ne suis pas mort. Vous êtes plus proche que moi de la mort, jeune coq ! Hahahaha ! Ensuite, je suis surpris que vous puissiez arriver à parler sans que je vous y autorise. Enfin, soupira-t-il, cela rendra la discussion plus intéressante.
- Vous n'avez pas répondu à ma question, zombie...
- Vous persistez dans toutes vos erreurs, demi-elfe. Je ne suis pas un zombie, ni une... demi-liche, comme j'ai pu l'entendre dire. Je suis une archiliche, finit Avazarl avec un sourire. Quant à votre deuxième erreur, je ne suis pas tenu de répondre à vos questions. Mais si cela peut vous satisfaire, cette liqueur est un des plaisirs de la vie - ou de la non-vie, comme vous préférez -, alors pourquoi s'en priver ?
Sur ce, l'archiliche vida son verre d 'un trait avant de s'en servir un autre. Puis se dirigea vers son fauteuil.
Au bout de dix minutes d'un silence mortel, Avazarl reprit la parole.
- Vous êtes intéressant, jeune... euh... Taurrandir. Dois-je vraiment vous appeler ainsi ?
- Dans votre bouche, ce sera toujours plus agrébale que demi-elfe, je présume...
- Va pour Taurrandir alors. Ou plutôt Taur, j'économiserai ainsi une salive que je n'ai pas. Hahahaha !
- Seuls mes amis me surnomment ainsi, et ils ne sont pas nombreux.
- Mais moi, fit Avazarl en se rapprochant, je suis plus que votre ami. Je suis... votre confident. Vous ne pouvez rien me cacher. D'ailleurs vous ne m'avez rien caché, lâcha-t-il d'un ton brusque. Les défenses d'Aelor, pouah ! ridicules ! Mais la cité elfique, cela m'a été utile. Ainsi que ces pions de Fléauistes. Dommage que Méphistophélès n'ait pas pu finir son travail..., murmura-t-il d'un ton rêveur.
- Méphistophélès ! s'exclama le rôdeur. C'est donc vous qui...
- Tout doux, tout doux, le coupa Avazarl en levant une main faite d'os et de morceaux de ligaments. Je n'ai pas libéré Méphistophélès moi-même. Je me suis contenté d'un petit rôle dans cette histoire. Juste faire revenir la mélodie à la surface de certains... esprits. Quel dommage que vous ayez retrouvé cette harpe... Enfin, c'est la vie, dirons-nous. Hahahaha !
- Vous avez parlé de Fléauistes...
- j'en ai parlé c'est vrai. Ce sont des pions utiles de temps en temps. Mais assez parlé de la pluie et du beau temps, décréta le sorcier d'un ton autoritaire. Intéressons-nous à vous, fit-il en jetant son verre et en se tournant vers le rôdeur.
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Cela faisait maintenant dix minutes que l'archiliche examinait attentivement le rôdeur sous tous les angles.
- C'est étonnant. Vous êtes étonnant. Je cherche quelque chose qui puisse m'aider à confirmer mes soupçons, et je n'arrive pas à trouver cette chose. Pourtant seule la magie a pu vous aider dans votre entreprise. Le mage qui vous a assité est d'un très grand talent.
- Je le lui dirai.
- Il est vrai que si votre soeur a été son élève, il est d'un très bon niveau, continua Avazarl sans se démonter.
- Que savez-vous de ma soeur ? cria Taurrandir.
- Beaucoup de choses, en vérité. Mais elle ne m'intéresse pas. Pas pour l'instant, en tout cas. L'objet de mon intérêt du jour, c'est ça, annonça le nécromancien en se retournant. Il tenait Mithang entre ses mains décharnées.
- Mithang ? Mithang vous intéresse ?
- C'est le nom que vous donnez à cette épée ? C'est pléonasmique, vous me décévez. Comme si le fer pouvait être d'un autre couleur que le gris... Enfin, on fera avec. Oui, reprit Avazarl avec sévérité, votre "Mithang" m'intéresse. Tout simplement parce que cette épée vibre d'une magie plus grande que ce simple sort d'altération basique qui l'anime en surface. Révélez-moi son secret, et je vous promets une mort douce et rapide... ou l'immortalité si vous acceptez de me servir.
- Allez à Kelemvor ! cracha le rôdeur. Cette épée est un héritage familial.
- Kelemvor ne veut pas de moi, ou alors c'est moi qui ne veux pas de lui. Hahahaha ! Mais cette épée, si c'est bien celle que je pense, vous l'avez volée.
- Je l'ai reprise à un usurpateur !
- Ainsi vous admettez votre filiation ! Magnifique ! Je n'en espérais pas tant !
Taurrandir ne sut que répondre.
- Maintenant, il ne me reste qu'à désactiver la magie qui protège tout cela, et à restituer cette épée à qui de droit. Voyons voir.
Avazarl commença à incanter et à jeter différents sorts de dissipation sur l'épée, mais rien ne se produisit. Après plusieurs tentatives, le nécromancien s'énerva.
- La peste soit de ce mage baldurien ! Je ne vais quand même pas devoir aller jusqu'à la Porte pour lui arracher son secret !
À cet instant, un éclat attira l'oeil de l'archiliche. Se tournant de côté, il aperçut un anneau d'argent au pouce de Taurrandir.
- Et si... ? fit-il en s'approchant vivement.
Le coeur du rôdeur se serra d'angoisse. Le nécromancien lui retira l'anneau du pouce, et commença à trembloter.
- Oui ! ce doit être ça. Ce ne peut être que ça ! (Incantant rapidement, il jeta un sort de dissipation sur l'objet:) Quelle puissant magie d'illusion ! Votre ami est un maître, mon cher, fit-il en se tournant vers Taurrandir. Bien ! s'exclama-t-il, il semblerait que le seul moyen de vaincre cette magie, c'est de détruire cet anneau. Au travail !
Pendant plusieurs heures qui suivirent, Avazarl oeuvra sans arrêt au-dessus de son établi, concoctant potions et mixtures diverses. Au bout d'un temps qui sembla une éternité à Taurrandir, un cri de joie (ou ce qui y ressemblait, plutôt) retentit dans la grotte.
- Enfin ! enfin ! Hahahahaha ! Vous allez voir mon cher, fit-il en s'approchant du rôdeur, vous allez voir que nul ne peut vaincre ma magie.
Il prit l'anneau d'argent et le plongea dans une mixture luminscente de couleur verte. Sous les yeux de Taurrandir, l'anneau commença à se désagréger. Soudain, une explosion aveuglante se produisit, projetant l'archiliche dix mètres en arrière, et réduisant en miettes le carcan de granit du rôdeur.
Avazarl se releva sans mal, ayant prévu le risque et d'étant protégé par un bouclier magique. Se dirigeant vers la table, il y trouva, à la place de Mithang, une épée à la lame aussi noire que les ténèbres de Shar. La garde était d'ébène et non plus de chêne; quant au pommeau, à la place de la simple malachite qui y était sertie se trouvait maintenant une opale noire, enchâssée dans un cercle ajourée en forme de corbeau. D'acier, la garde était devenue du mithril.
- Morang, souffla-t-il. Enfin je te retrouve.
Oui, la magie d'illusion du mage était très puissante, pour avoir non seulement masqué l'apparence mais surtout la puissance de cette lame. "Bones" serait content de récupérer son bien. Quant au voleur...
Avazarl se dirigea vers l'endroit où se tenait Taurrandir un instant plus tôt. Il trouva le rôdeur par terre, assommé par la violence de l'exploision. Se penchant au-dessus de lui, il sourit.
- Comme je m'y attendais...